Package du dirigeant : qui décide ?

Benoît Potier, PDG d’Air Liquide. La résolution sur sa rémunération n’a été approuvée qu’à une courte majorité.

Nouvelles règles

Le vote contraignant des actionnaires sur la rémunération change la donne pour les conseils d’administration. Aux comités spécialisés de relever le gant.

Evoquant le sujet de la rémunération du dirigeant dans le cadre du Grand Prix de l’AG 2016, Emmanuel Macron, encore ministre de l’Economie, défendait le principe selon lequel « c’est à l’assemblée générale des actionnaires d’en fixer la politique », pour déléguer ensuite son application au conseil. Moins d’un an plus tard, le voici président de la République française au moment même où la volonté de rééquilibrer le pouvoir entre dirigeants et actionnaires des sociétés cotées est appliquée. Le récent décret d’application de la loi Sapin II porte un changement à double détente : outre un avis sur les packages 2016, les actionnaires expriment cette année un vote ex ante sur la politique de rémunération et en 2018 un vote ex post sur la rémunération elle-même.

Entre ce nouveau say on pay et la directive européenne sur le droit des actionnaires, dont on attend encore la transposition en droit français, « on donne vraiment le pouvoir aux actionnaires », constate un gestionnaire d’actifs. « Cela change la donne pour les conseils d’administration, pointe ce dernier, mais je ne suis pas certain que toutes les entreprises s’en soient rendu compte. » En mars, Elior a ouvert le bal : les actionnaires ont rejeté la rémunération du PDG Philippe Salle à plus de 63 %. Et au fil des AG, plusieurs say on pay ont réalisé de bien faibles scores. Y compris chez de « bons élèves » de la gouvernance comme Air Liquide, où la résolution sur la rémunération de Benoît Potier n’a été approuvée qu’à une courte majorité.

Un symbole ou un symptôme

Vote de gouvernance, le vote sur la rémunération est un vote de confiance qui doit susciter une large adhésion. « Le symbole est important ; un désaccord sur la rémunération traduit plus un problème de gouvernance que de montant », souligne Michel de Fabiani, au Club des présidents des comités des rémunérations de l’Institut français des administrateurs (IFA). Si les actionnaires consacrent autant de temps à la question, « c’est parce que la rémunération des dirigeants mandataires sociaux permet aux investisseurs d’apprécier le rôle, le fonctionnement et l’indépendance du conseil d’administration ; ils s’assurent que la rémunération est fixée dans l’intérêt à long terme de la société. En un mot, qu’il y a bien un capitaine dans le bateau… au service des actionnaires », résume Jean-Claude Sobel, le président du cabinet Essere associés, spécialiste de la gouvernance et de l’ingénierie des rémunérations du top management. « Avant l’affaire Renault, je n’imaginais pas qu’un conseil d’administration puisse maintenir la rémunération du PDG à l’encontre de la décision de l’assemblée », confie ce dernier.

Un rejet s’explique par un ensemble de raisons, des plus techniques aux plus subtiles – lorsque les ego s’en mêlent. Mais chez Essere, Jean Lambrechts insiste sur l’absolue nécessité d’expliquer l’aspect rationnel du package : « Au-delà de la mécanique, les investisseurs veulent comprendre les principes de la politique de rémunération et en quoi ces principes sont rigoureusement liés à la stratégie de création de valeur de l’entreprise. » Une exigence qui suppose que les comités des rémunérations s’inscrivent à l’amont du processus. Problème : « Ils sont encore un peu faibles de ce point de vue-là », confie l’administrateur d’un groupe du CAC 40. Le temps n’est pas si lointain où président et directeur général élaboraient leur propre package, avec la DRH et la direction financière, et se mettaient d’accord avec le comité qui se chargeait ensuite de le proposer en conseil. Les présidents de conseil sont peu nombreux à décrocher leur téléphone pour entamer le dialogue avec les investisseurs. « Nos interlocuteurs restent majoritairement les directions juridiques, parfois les secrétaires du conseil, témoigne l’un deux. Et il est très rare que nous puissions parler directement avec un membre du comité des rémunérations. Il arrive même que le CEO lui-même souhaite nous parler de sa rémunération. » Un symptôme de défaut de gouvernance.

50 pages de recommandations

Depuis que l’information sur la question est publique, la responsabilité des administrateurs et du comité spécialisé s’était renforcée. Avec le vote contraignant, elle l’est davantage encore. Dans ce contexte, l’IFA a présenté la semaine dernière à ses troupes un vade-mecum inédit, cinquante pages de recommandations sur les composantes du package, le fonctionnement du comité et le vote en assemblée. Sans le dire, l’IFA veut professionnaliser le comité, longtemps considéré comme un second couteau de la gouvernance. « Un président de comité des rémunérations qui ne comprend pas l’environnement de l’entreprise n’est pas à sa place », explique Michel de Fabiani. L’année dernière, Patrick Thomas, président du comité des rémunérations de Renault, s’était retrouvé sous le feu des critiques, les observateurs relevant que son parcours de PDG dans une entreprise familiale (Hermès) préparait mal à la question. Carlos Ghosn « était le meilleur pour le poste », avait-il argumenté, en ayant peut-être en tête un benchmark mondial tiré par les salaires des patrons des constructeurs américains.

Le benchmark, le grand sujet

Le benchmark… A l’IFA, Michel de Fabiani ne cache pas que « c’est l’un des grands sujets ». Cela dit, notent les experts d’Essere, « en France, c’est le management qui se charge des études de marché, alors que la composition du panel de comparaison est une question clef qui devrait être définie par le comité des rémunérations ». Jean-Claude Sobel se souvient d’un benchmark réalisé à la demande d’un CEO qui démontrait qu’il était sous-payé mais qui a compris qu’il revenait à son président de piloter l’étude. « Le benchmark n’était pas forcément faux, commente-t-il, mais il faut que l’étude soit conduite sous la responsabilité directe du comité pour éviter toute suspicion. » Telle est d’ailleurs la recommandation de l’IFA, ou de certains investisseurs comme BlackRock. C’est aussi l’objectif de l’agence de conseil en vote ISS qui a lancé, il y a peu, à titre expérimental, son propre modèle comparatif.

Performance relative

A la comparaison des rémunérations s’ajoutent celles des performances des CEO. La « performance relative », dit-on. « Le comité des rémunérations peut toujours dire qu’il applique des critères de performance. Mais comment juger quelqu’un dans l’absolu ? », pointe Michel de Fabiani. A un investisseur qui lui demandait si le conseil était assez « exigeant » avec un dirigeant qui s’était vu octroyer deux années de suite le maximum du montant variable, il s’est fait un plaisir de répondre que le comité des rémunérations s’était autant basé sur la performance relative qu’absolue. « La question aurait eu tout son sens si ça n’avait pas été le cas », dit-il. Pour l’expert toutefois, la rémunération, elle aussi, est un « facteur de cohésioninterne ». Pour ne pas être pris de court, quelques comités commencent à se pencher sur le « ratio d’équité ». Aux Etats-Unis, il mesure le salaire du dirigeant à l’aune du salaire médian de l’entreprise. Sur ce point, en France, la position d’Emmanuel Macron est claire : « Ce n’est pas à la loi de fixer un plafond en multiples de SMIC. »

VALERIE LANDRIEU – LesEchos.fr – 15/05/2017

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