Sur les 146.000 PME et ETI françaises, une sur trois est familiale, estime une étude de Bpifrance Le Lab (1), laboratoire d’idées de la filiale de la Caisse des Dépôts et de l’Etat chargée de l’accompagnement des entrepreneurs et entreprises. « Ces entreprises familiales ont, à tort, une image poussiéreuse, » précise Anaïs Rajery-Rasata, auteur de l’étude et responsable d’études économiques chez Bpifrance Le Lab. « En étudiant le portefeuille de nos fonds, on se rend compte que leur taux de défaillance est 2 à 3 fois moins élevé que la moyenne. Elles sont aujourd’hui des valeurs refuges pour les investisseurs. » Si les doyennes de « deuxième génération », ou davantage, représentent 56% des PME et ETI familiales, 36% d’entre elles, fondées par des fratries, des couples ou des cousins, ont moins de 50 ans d’existence.
Une singularité revendiquée
« Les entreprises familiales se revendiquent elles-mêmes comme très différentes des autres », souligne Philippe Mutricy, directeur de Bpifrance Le Lab. « On n’y parle pas de capital, mais de patrimoine : celui de la famille, qu’il faut préserver et faire prospérer. Les entreprises familiales ne sont pas à la recherche d’une rentabilité maximale et immédiate pour leurs actionnaires. » Elles ont une vision à long, voire à très long terme : 10 à 50 ans. « Leur but est de perpétuer et transmettre l’entreprise dans la famille, » ajoute Philippe Mutricy.
Le portrait-type de l’entreprise familiale établi par Bpifrance Le Lab fait ressortir des caractéristiques inattendues. Elles sont donc particulièrement résistantes, même en temps de crise économique. Elles sont aussi plus innovantes, car elles se donnent le temps d’expérimenter et de surmonter les échecs, d’une génération à l’autre. Elles sont agiles, habituées depuis toujours aux circuits courts de décision et au règlement rapide des conflits … en famille ! « Les décisions stratégiques se prennent lors du déjeuner dominical, » raconte Philippe Mutricy. Enfin, elles disposent d’un réseau exceptionnel, tissé sur leur territoire grâce à des relations de longue durée avec leurs fournisseurs, leurs clients, ou les institutionnels de la région.
En quête du partenaire idéal
Les PME familiales ne vivent pas toutes à l’abri des regards. Parmi les 417 entreprises familiales sondées, 41 % ont déjà ouvert leur capital et 9 % envisagent de le faire à court terme. « Mais lorsqu’elles le font, les entreprises familiales se montrent particulièrement exigeantes dans le choix de leur partenaire, » insiste Anaïs Rajerty-Rasata. « La personne qui devient actionnaire aux côtés de la famille doit comprendre le projet familial, partager ses valeurs et s’inscrire dans une vision à long terme et patrimoniale. » Leur partenaire idéal au capital ? Un fonds d’investissement (43%), ou un collaborateur (36%) présentant ces qualités. Sont bienvenus également les industriels de la région, parfois clients ou fournisseurs.
L’intégration d’actionnaires extérieurs à la famille modifie en profondeur la culture de l’entreprise. « Financiers ou industriels, les nouveaux partenaires ont une forte exigence de formalisme et de transparence, » explique Philippe Mutricy. « Il arrive que les membres de la famille se montrent réticents face à ces nouvelles pratiques. D’ailleurs, une entreprise familiale sur deux préfère ne pas ouvrir son capital, et conforter son attachement à un mode de gouvernance simplifié. »
Changements à prévoir dans la gouvernance
Les membres de la famille se voient en effet imposer des outils dont ils se passaient jusqu’alors : comités et conseils, évaluations, diagnostics stratégiques … « Ils doivent comprendre que le nouveau partenaire n’est pas là pour juger le passé, mais pour construire l’avenir,» poursuit Philippe Mutricy. « Il ne s’agit pas de tuer la gouvernance familiale, mais de la clarifier et de l’améliorer. L’injection de performance stratégique et financière, ajoutée aux atouts historiques de l’entreprise, permet d’obtenir le meilleur de ces deux mondes.» Les PME familiales sont aujourd’hui confrontées à trois défis : le développement de leur croissance interne et externe pour faire prospérer leur capital, la problématique vitale du recrutement et de la fidélisation de nouveaux talents et la transmission de l’entreprise aux générations suivantes. « L’ouverture du capital peut aider les entreprises familiales à relever chacun de ces défis, » assure Philippe Mutricy.
GERALDINE DAUVERGNE
(1) « Ouvrir son capital pour durer », mai 2016, étude de Bpifrance Le Lab auprès de 417 dirigeants d’entreprises familiales