Le lucre, le pragmatisme et la morale

Un article du Monde[1] annonce que l’ONG Sherpa a déposé une plaine contre le groupe Lafarge Holcim  pour financement du terrorisme. La cimenterie d’une filiale située au nord de la Syrie, dans une zone sous contrôle d’Al Nosra, puis du pseudo-califat, aurait financé en 2013 et 2014 les divers groupes islamistes exerçant de facto le contrôle civil. Droits de passage pour les employés, les approvisionnements et les produits financiers : présentés ainsi, Lafarge serait plus victime d’un racket que sponsor volontaire d’une cause jihadiste.

Prétendre que les cimentiers sont d’une probité exemplaire n’est pas de mise. Les ententes récurrentes sont soupçonnées un peu partout dans le monde depuis très longtemps, et les marchés publics dont ils dépendent peuvent être des occasions de corruption. Pas question donc de leur signer un chèque en blanc.

Bien évidement, je n’ai pas accès au dossier qui doit étayer la plainte de Sherpa, mes réflexions et mes questions pourront donc apparaître comme de pures spéculations, mais je m’y risque.

Le droit syrien serait assez proche du droit français. J’imagine donc que la personnalité morale d’une société / entreprise la conduit a avoir une responsabilité propre, individuelle, différente de celle de chacun de ses associés ou actionnaires qui peuvent être, dans le cas d’un groupe, réduit à un seul.

Les personnes en charge des décisions locales pour la cimenterie était-elles les mêmes pendant la période sous contrôle islamique qu’avant ? Si tel n’est pas la cas, qui les a nommé ? Quelle était la marge de manœuvre objective de cette direction locale face à ces jihadistes ?

Des instructions en provenance du siège social du groupe ont-elles été transmises et exécutées dans cette cimenterie sur cette période ? Ces instructions visaient-elles la seule préservation de l’outil (une cimenterie est un investissement significatif) ou une collaboration active sans doute nécessaire à la poursuite des affaires (Business as usual) en dépit du contexte ?

Des flux financiers significatifs ont-ils été constatés entre cette cimenterie et/ou la filiale syrienne et/ou le groupe ? Le groupe a-t-il perçu des dividendes ou des investissements ont-ils financés ?

Comme indiqué, je n’ai pas accès aux détails du dossier, mais j’imagine aisément que la direction locale, dans une situation où le contrôle d’un siège devenait inopérant, a tenté d’être aussi loyale que possible aux employés en préservant leur gagne-pain de tout les jours. Est-il pertinent de considérer que ce pragmatisme relève du crime, et que ce crime doit être imputé à une société mère ? Je ne peux m’empêcher de m’interroger cyniquement : à quel concurrent cette procédure profiterait-elle ?

Remy Mahoudeaux, membre de l’ADAE, Managing Director, RemSyx

boss@remsyx.com / twitter : @remseeks

[1]    http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/11/15/l-ong-sherpa-porte-plainte-contre-lafarge-pour-financement-du-terrorisme_5031474_1618247.html?xtref=https://t.co/Iqysmyb7h2