Le secteur du capital-risque français doit se renforcer, réclament, dans la note n°33 du Conseil d’analyse économique de juillet 2016, Jean Tirole, prix Nobel d’économie en 2014, Augustin Landier, professeur à l’Ecole d’économie de Toulouse et Marie Ekeland, cofondatrice de France Digitale et du fonds de venture-capital Daphni.
Aux côtés de bpifrance et des fonds d’investissement, les business angels (BA) doivent jouer un rôle prépondérant, selon les auteurs. Sur le modèle de Xavier Niel – 35 millions d’euros de fonds propres investis dans 230 projets différents depuis 2009 –, les entrepreneurs qui ont connu le succès peuvent se transformer en investisseurs et amorcer un cercle vertueux de financement. Pour peu qu’on les y incite, comme par exemple avec la fiscalité du compte entrepreneur-investisseur.
Comme chez Criteo, les business angels déclenchent un cercle vertueux
« Les BA sont une couche indispensable du financement pour aider à construire de très nombreuses boîtes, affirme Marie Ekeland. Il y a autant d’analyses et de perceptions différentes du risque que représente une boîte qu’il y a d’investisseurs, donc, plus le nombre d’investisseurs augmente, plus on accroît les chances de trouver quelqu’un qui va partager la vision du fondateur. »
Selon l’association Invest Europe, en 2014, les BA représentent 73 % des fonds européens au stade d’amorçage. De l’argent, mais surtout du « smart money » (« argent intelligent »). « En plus de l’argent, c’est l’idée d’amener des conseils opérationnels – Qui dois-je recruter à ce poste de directeur commercial ? –, des conseils stratégiques – Quel modèle économique va fonctionner dans tel pays ? – et des contacts. »
Et, au passage, de renforcer l’ambition. Celle des entrepreneurs reconnus nourrit les plus jeunes générations. « Quand Jean-Baptiste Rudelle a monté Criteo en 2005, son niveau d’ambition avait monté, car il avait déjà revendu Kiwee en 2004, pour quelques dizaines de millions d’euros, raconte Marie Ekeland. Avec Criteo, on a pivoté jusqu’à trouver le meilleur modèle économique possible sans se contenter d’une boîte juste bien. »
La « mafia Paypal » en modèle pour l’écosystème de business angels français
Au-delà, la force des BA donne sa pleine mesure lorsqu’ils fonctionnent en « écosystème économique », à l’instar de ce que l’on surnomme la « Mafia PayPal » dans la Silicon Valley. Il s’agit des liens économiques réciproques et entremêlés des fondateurs du service de paiement dématérialisé avec les autres organes et fleurons de la Silicon Valley : Stanford, Airbnb, Facebook, LinkedIn.
En France, un tel écosystème est naissant et pâtit de faiblesses. Dans la note, les trois auteurs remarquent que les apports des BA français sont en moyenne deux fois moins importants que ceux des Allemands et 2,5 fois moindres que ceux des Anglais. Ils sont aussi moins nombreux qu’aux Etats-Unis : on compte un BA pour 6.600 habitants en France, contre 1 pour 1.200 habitants outre-Atlantique. Quant à la fiscalité française des plus-values… « Dans nos entretiens, elle ressort à chaque fois comme une raison de partir, même s’il n’y a pas suffisamment de données chiffrées pour pondérer scientifiquement son importance. »
Un compte entrepreneur-investisseur pour encourager fiscalement le réinvestissement
Au Royaume-Uni, le taux maximum de taxes sur les plus-values est de 20 %, alors qu’en France, le taux passe de 63 %, en cas de cession la première année, à 23,75 %, le taux plancher, après 8 ans. Actuellement, les outils que les BA utilisent sont le compte PME-ISF, capé à 45.000 euros, et, surtout, la société holding, coûteuse et difficile à manier fiscalement.
Les auteurs prônent la création d’un compte entrepreneur-investisseur, déjà envisagé pour la loi de finance 2017. Il permettrait de stocker des participations dans des start-up de moins de 10 ans sans rentrer dans le calcul de l’ISF, et tout en compensant les pertes et les profits. Marie Ekeland conclut : « C’est un mouvement de recyclage, tant que tu investis ton argent dans l’écosystème, dans d’autres start-up, tu ne payes pas d’impôts. Le jour où tu sors ton argent, tu payes l’ISF, l’impôt sur les plus-values… »
Emre Sari | Le 13/09/2016