huffingtonpost.fr | La médiation au secours de notre rugby ? Dominique BAMAS

Doublons. Calendrier. Santé des joueurs. Formation des jeunes. Recrutement de joueurs étrangers. Droits TV. Lisibilité des compétitions. Equipe de France. Salary cap. Arbitrage. Commissions de discipline. Campagne électorale. Rugby cassoulet contre sport spectacle façon Superbowl.

Une interview de Patrick Wolff a stimulé ma réflexion.

“Le rugby français est à l’image du pays. Les gens ne se parlent pas, ils ne se font pas confiance. C’est tout cela qu’il faut arriver à reconstituer. Ce n’est pas être Bisounours que de dire qu’il y a des gens bien à la FFR, à la LNR, à la DTN. Mais le problème, c’est d’arrivé à les faire bosser ensemble sans arrière-pensées. Tout le monde se méfie de tout le monde. Tout le monde est convaincu d’avoir LA solution pour guérir le rugby français. Mais comment voulez-vous avancer avec ça ?”

Et là j’ai compris deux choses. Un, LA seule voie est l’engagement dans un véritable processus de médiation. Deux, faute de quoi, je serai bientôt contraint de choisir entre rugby et cassoulet.

Seule solution : une véritable médiation

Quand je dis véritable médiation je me réfère aux centaines de médiations annuelles, judiciaires ou conventionnelles, qui déroulent un processus éprouvé, respectent une éthique et appliquent une déontologie stricte. Et surtout s’inscrivent dans l’esprit médiation. Pas de ces médiations politiques qui n’en portent que le nom, en galvaudent l’image et répondent à une stratégie médiatique d’effet d’annonce.

La médiation ne s’appréhende pas comme un choix juridique, managérial ou stratégique. Parmi d’autres. Bien au contraire. La médiation puise sa raison d’être, pour ne pas dire ses lettres de noblesse, dans l’expression du libre arbitre de tout un chacun. Dans notre relation aux autres, y compris dans la gestion de nos différends, souhaitons-nous privilégier une culture de paix ou une culture de guerre ?

“Les hommes élèvent trop de murs et ne construisent pas assez de ponts” selon Isaac Newton. Le différend, douloureux ou superficiel, latent ou avéré, d’opinion ou d’action, financier ou relationnel, participe des interactions entre les individus. Cet axiome préempté le choix s’avère toujours le même. Obtenir une victoire ou chercher une solution. La quête de la victoire s’inscrit dans une logique de destruction de valeur. Au mieux dans une logique de partage de valeur. La recherche de solution offre toujours une opportunité de création de valeur. Par valeur il ne faut surtout pas se limiter à entendre nature de la victoire ou contenu de la solution. L’autre enjeu majeur est la qualité de la relation, l’acceptation de l’autre et donc la probabilité de résurgence d’un différend.

Faire échanger des hommes, qui justement ne se parlent plus ou mal, est la clé de voute d’une médiation. Les amener, par un dialogue restauré, à construire eux-mêmes la solution est le quotidien des médiateurs.

Les méfaits d’une culture de guerre

Le langage courant du rugby moderne favorise inconsciemment une culture guerrière. Conquête. Défense. Combat. Affrontement. Percussion. Honneur. Sacrifice. Mourir sur le pré pour défendre les couleurs du cloché. Même cette fière référence permanente à notre très chère Marseillaise. Cet hymne guerrier. Entendez-vous dans les campagnes mugir ces féroces soldats ? Ils viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils, vos compagnes !

Les barbares (barbarians..) seraient ainsi aux portes de nos campagnes. Montrer du doigt un ennemi commun pour fédérer n’a jamais été une solution noble et pérenne. Les instances internationales. Les très influentes nations de l’hémisphère sud. Les arbitres anglo-saxons. L’anglois tout court. Tous perfides. Qui l’ignore encore. Et alors ? Pour communiquer nous devons parler la langue de Shakespeare. Et alors ? A ce propos, il y a quelque part en France un professeur des collèges qui ne devait pas être au mieux avec son recteur d’académie. Je veux parler du prof qui instilla les premiers germes de la langue anglaise au très performant arbitre français Romain Poite.

Lors de la dernière coupe du monde Pascal Papé fut agressé par l’irlandais Sean O’Brien. Dans le dos de l’arbitre. Mais devant les caméras de télévision du monde entier. Cité par la commission de discipline il n’écopa que d’une semaine de suspension. Bien. Ou encore, quel est l’impact d’une “bonne générale”? Les tenants des valeurs du rugby affirment que c’est une marque de respect. Bien. Ils en veulent pour preuve que tout est oublié et pardonné grâce aux vertus magiques des agapes de la troisième mi-temps.

Folklore. Peut-être. Mais à un moment donné on est en droit de se poser la question. Cette culture guerrière est-elle aussi anodine. Les comportements sont fatalement marqués. Les enjeux financiers viennent ensuite exacerber le conflit et bloquer le dialogue. Peut-il en résulter autre chose qu’un enlisement ? Qu’une volonté d’imposer sa solution en faisant fi de l’autre ?

Pour sortir de ce cercle vicieux il faut restaurer la confiance et le dialogue. Prendre conscience des méfaits d’une culture guerrière. Il convient de dépasser les positions pour se focaliser sur les intérêts (partie immergée de l’iceberg). N’est-ce pas là LA vocation et LA posture de la médiation ?

Médiateur tiers indépendant

Une telle médiation mérite d’être conduite par un médiateur neutre, indépendant et légitime.

Neutre et indépendant car il faut résister tout autant au diktat politique qu’au copinage. Sans même évoquer le risque de conflits d’intérêts. Donc exit l’ancien dirigeant supposément en retrait, l’ex international qui imposait le respect du vestiaire ou le commentateur-consultant qui connaît bien le sujet. Neutre et indépendant veut aussi dire vierge sur le sujet. Ni casserole ni expertise sectorielle exigée. Encore un des fondamentaux de la médiation.

Légitime par sa compétence, mais aussi du fait que les parties doivent s’accorder de manière directe, libre et consensuelle sur le choix du médiateur. C’est la première étape de restauration du dialogue.

Au menu. Cassoulet, marrons et salades de doigts… ou créatinine…

C’était mieux avant… Je ne crois pas. En tout cas, pas côté spectacle. Essayez de vibrer en regardant un match des années 60 sur vidéo nostalgie. La remarque vaut aussi pour tous les autres sports. Franchement, à part Roger Couderc qu’est ce qui nous manque vraiment ?

Il ne faut pas se méprendre. De tous les obstacles que dû franchir le rugby moderne, depuis 20 ans, pour nous offrir le formidable spectacle actuel, le challenge d’aujourd’hui n’est pas le plus complexe. Ni le plus improbable. Car une voie évidente existe. La médiation.

Je n’ai pas l’accent de Rodez ou de Gaillac. Pardonnez-moi. Rassurez-vous j’en formule le grief tous les jours à une vie injuste. Cela ne m’empêche pas de revendiquer ma passion pour l’ovalie. Et la médiation. Et le cassoulet !

Dominique BAMAS / Membre de l’ADAE

Président d’Upsides Dirigeant Conseil, expert-comptable, commissaire aux comptes et médiateur