Huffingtonpost.fr | Clémenceau, la médiation et les taxis… Par Dominique BAMAS

La médiation est une chose trop grave pour la confier à des politiques !

Pendant plus d’un siècle la France a perpétué inlassablement, avec une constance forçant le respect, une coutume fondatrice de sa vision démocratique du fonctionnement de la République : si vous voulez enterrer un problème nommez une commission.

Depuis quelques temps une nouvelle tendance s’esquisse. Les dirigeants de la Nation s’exonèrent dorénavant de toutes décisions en déléguant à des tiers la résolution des conflits. L’arbitrage Bernard Tapie-Crédit Lyonnais a donné ses lettres de noblesse à cette fuite des responsabilités. Ni responsable ni coupable. Ce n’est même pas moi… c’est l’arbitre ! Et comme chacun sait, l’arbitre est un vendu…

En difficulté à l’heure de préempter les nouveaux paradigmes économiques, nos gouvernants testent les vertus de tous les modes alternatifs de résolution des conflits. Après l’arbitrage et la conciliation, la médiation vole au secours de l’incapacité des politiques à appréhender les enjeux des mutations économiques qui déstabilisent notre environnement.

Clémenceau affirmait qu’une commission, pour être efficace, ne doit compter que trois membres, dont deux sont absents. Ses successeurs marquent une ambition autrement supérieure. Ne nous y trompons pas. En face du seul médiateur ne siègent pas quelques représentants professionnels ou syndicaux. Ni même 50.000 chauffeurs de taxis. Mais rien moins que 66 millions de médiés.

Le différend qui oppose Uber aux taxis ne se limite pas à un conflit sectoriel (partie émergée de l’iceberg… les médiateurs me comprendront). C’est le catalyseur de toutes les peurs économiques engendrées par les mutations actuelles.

4 critères pour réussir une médiation

Voilà pourquoi cette médiation n’a aucune chance de se conclure par un succès. Pourquoi cette intuition fataliste pour le médiateur que je suis et convaincu de la force, de l’avenir et de l’intérêt sociétal de la médiation ?

Les médiateurs le savent bien, le succès d’une médiation se mesure à l’aune de quatre critères : la satisfaction avec le résultat sur le fonds (contenu de l’accord), l’impact sur la relation, la possibilité de récurrence du conflit et le cout de la médiation. Au passage, voilà pourquoi les médiateurs préfèrent l’expression satisfait-satisfait à gagnant-gagnant.

Cette médiation est donc vouée à l’échec. Oh, bien sûr, je ne doute pas un instant que les experts en communication du gouvernement nous expliqueront le contraire. Reprenons les critères du succès. Le seul critère probablement satisfait sera celui du coût de la médiation. J’en ignore tout. Toutefois, mis en perspective avec l’impact économique des grèves et des mesures de sécurité policière pour contenir les affrontements récurrents, le coût de la médiation se révélera négligeable.

Pour le reste, nul besoin d’être un oracle pour affirmer que le résultat sur le fond ne satisfera personne, que la relation ne s’améliorera pas durablement et que la probabilité de récurrence du conflit sera proche de 100%. Conflit 3 Médiateur 0. Il est plus facile de faire la guerre que la paix et on ne peut jamais savoir ce qu’il peut advenir d’un homme qui possède à la fois une certaine conception de ses intérêts et un fusil.

En effet, je doute que la phase initiale à toute médiation, à savoir se mettre d’accord sur le désaccord, soit réellement compliquée. Les positions comme les intérêts (partie immergée de l’iceberg) s’affichent à la Une des gazettes depuis des mois. Indemnisation financière et reconnaissance des contraintes d’une profession pour les uns. Droit à la liberté d’entreprendre pour les autres. Droit à la survie financière pour tous.

En effet, je doute qu’aliéner les droits les plus élémentaires d’entrepreneurs privés à créer de nouveaux modèles économiques soit compatible avec des principes libéraux sur le long terme. Sans parler que les nouveaux modèles, qu’illustrent à la perfection Uber ou Airbnb, traduisent une inexorable mutation mondiale des contraintes professionnelles et des comportements de consommation.

En effet, je doute que rembourser le prix des licences aux chauffeurs de taxi soit une option ? Est-ce réaliste financièrement ? Où le gouvernement trouverait-il 8 milliards ? Et même si… que dire alors du respect des fondamentaux d’une économie libérale régie par le risque entrepreneurial. Chaque nouveau paradigme économique engendre inévitablement des opportunités mais aussi des “transferts de richesse”. L’Etat a-t-il racheté les fonds de commerce des vendeurs de machines à écrire quand l’informatique inonda le monde ? L’Etat a-t-il racheté les pas-de-porte des petits commerçants de quartier quand la vague des grandes surfaces de périphérie balaya tout sur son passage ?

En effet, je doute encore que nos gouvernements successifs aient réalisé que toute tolérance devient à la longue un droit acquis. Le flou entretenu depuis des décennies autour des licences de taxis le prouve.

La médiation n’est pas le remède palliatif

En conclusion, s’abriter derrière une médiation pour purger l’épineux dossier du traitement économique et réglementaire de la désintermédiation des services se révélera très probablement inefficient. La vocation de la médiation est la résolution amiable des conflits. La médiation n’est pas le remède palliatif d’une vision économique en phase terminale. Cette confusion des genres risque de brouiller, pour ne pas dire dénaturer, l’image de la médiation aux yeux du grand public. Les 66 millions de médiés. La Médiation mérite mieux.

Enfin, n’est-il pas rafraichissant d’observer à cette occasion le regard, ou l’absence de regard, que porte nos gouvernants sur la désintermédiation des services sachant que le secteur même de la médiation puise son développement dans le terreau fertile de la volonté de déjudiciarisation. Donc du transfert de la résolution des conflits de la Justice de la République vers des médiateurs privés. Transfert exprimé et mis en œuvre par ces mêmes gouvernants !

 

Dominique BAMAS / Membre de l’ADAE

Président d’Upsides Dirigeant Conseil, expert-comptable, commissaire aux comptes et médiateur