Divagations autour de la RSE

Le monde de l’entreprise a-t-il basculé vers une vertu qu’on ne lui connaissait guère ? La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) a droit de cité, le développement durable est tendance, et il y a des signes qui interpellent. Par exemple, si Larry Fink, le CEO du premier gestionnaire d’actifs du monde BlackRock, annonce que l’investissement durable devient la norme pour tous les fonds sous gestion, l’annonce à tous les patrons des entreprises où BlackRock a une participation et fait savoir que les non-conformité seront sanctionnées, ça a un impact.

Mais d’abord, est-ce que la RSE serait synonyme de vertu ? Peut-être qu’il est compliqué d’y répondre simplement, mais des entreprises relèvent du grand banditisme comme un certain chimiste auquel tout le monde pense (cf. ses fichages illégaux d’opposants, la falsification de résultats de ses études, ses pratiques commerciales agressives et mensongères, la corruption d’un éditeur et de nombreux scientifiques dans le cadre d’une réfutation d’une étude gênante pour lui, …). Cette irresponsabilité sociale d’entreprise relève, n’en doutons pas, du vice.

En France, la loi PACTE impose une nouvelle rédaction de l’article 1833 du code de commerce. Dorénavant, « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. ». Michael Porter a gagné contre Milton Friedman, et c’est la loi qui le dit. Les entreprises peuvent certes faire du profit, mais celui-ci ne saurait être leur seul horizon, et elles doivent être respectueuses des salariés et de l’environnement. Double incise : quel accroc à la liberté de s’associer que d’imposer une partie des buts de l’association, et le législateur qui se défendrait que la loi puisse être dictée par la morale impose cette morale à d’autres par la loi. Cherchez la cohérence.

Cette loi PACTE a un beau nom, mais un pacte, c’est une convention durable qui oblige des parties libres de conclure cet accord. En Allemagne, un pacte tacite existe et fonctionne qui fait que les salariés, la direction et les actionnaires sont en mesure de discuter, de négocier et d’arbitrer autour d’un intérêt commun résultant d’un consensus. La culture allemande le permet, en France, nous en sommes loin. La loi peut-elle imposer efficacement cette révolution culturelle ? Il est permis d’en douter …

Cette bascule vers un monde bisounoursique de l’entreprise respectueuse de ses tous ayants-droits et de l’environnement est-elle un fait avéré ? Force est de constater que les effets ne sont pas encore visibles. L’argument commercial vert, dès lors que l’on gratte un peu le maquillage, devient vite brun. Le fléchage vers des investissements ISR reste anecdotique dans la gestion d’actifs et le secteur bancaire, et l’investissement prétendument durable se fait sur des marchés qui tolèrent des durées de détention d’un titre de l’ordre de la seconde. Encore une fois, où est la cohérence ? Mais certes, Paris ne s’est pas fait en un jour.

Le pragmatisme de Warren Buffet est sans doute le meilleur guide. Investir en action avec une échéance en tête, un horizon de cession, relève sans doute de l’erreur. Mon professeur de stratégie à l’école de commerce avait raison, le seul objectif d’une entreprise est d’assurer autant que possible sa pérennité, et cela implique que les arbitrages ne peuvent se faire en permanence au seul profit des investisseurs.

La trame de ces divagations était alimentée par Gérard Schoun, et l’animation assurée par Daniel CORFMAT [1]lors d’un petit-déjeuner de l’ADAE[2], en très bonne compagnie.

Rémy MAHOUDEAUX, membre ADAE

[1]Président de l’ADAE
[2]ADAE : Association des Dirigeants et Administrateurs d’Entreprise