Ce qui se cache derrière l’expression “Avoir du bol ou pas”

Évidemment, un président de la République qui résume son action à avoir de la chance (ou pas) suscite le débat. Je ne voudrais donc pas ajouter ma voix à la dissonance générale. D’autant qu’on pourrait me demander en quoi je suis légitime à m’exprimer, fusse dans un blog hébergé ici.

Et pourtant, la signification d’avoir du bol (ou pas) mérite qu’on s’y arrête quelques instants. Je passe rapidement sur l’origine de cette expression populaire (avoir du bol, avoir du cul, se sortir le derrière des orties ou le contraire) pour m’interroger sur la posture présidentielle qui limite son action à avoir de la chance.

Tout se résumerait à une question de chance. Donc, tu n’as pas eu de bol, peu importe… La société se doit de compenser. En avoir trop ne saurait être autre chose que l’incontestable manifestation ostentatoire de ta chance. Donc par voie de conséquence, il faut que tu rendes la différence. Pourquoi pas.

Plusieurs questions se posent alors. C’est quoi, ou, combien, quelle différence? Et quel sort donne-t-on au talent, à l’intelligence et au travail? Doit-on valoriser la prise de risque ou encourager le confort?

Avoir du bol (ou ne pas en avoir) aurait donc le mérite de mettre un terme définitif au débat entre l’acquis et l’inné. Une farouche, et louable, volonté de supprimer les inégalités se mue, depuis la campagne électorale qui porta M. Hollande à l’Elysée, en un nouveau dogme fondateur des actions socialistes. L’acquis doit être la variable d’ajustement de l’inné. Tu n’as pas assez, je te donne. Tu as trop, je te reprends. Tout se résume à une question de chance. Donc, tu n’as pas eu de bol, peu importe… la société va remettre les compteurs à zéro.

Trop de personnes trop pauvres, que faire?

Depuis le Front Populaire, le débat républicain, pour bipolaire qu’il soit se résumait autour d’une question centrale. Il y a trop de personnes trop pauvres, que faire ?

A gauche, de Pierre Mendès-France à François Mitterrand, en passant par Pierre Bérégovoy, Michel Rocard ou encore les ministres communistes du gouvernement de 1981, aucun n’y dérogea vraiment. Cette question guida leurs actions. Nul ne contestera que leurs convictions économiques reposaient pourtant sur des racines socialistes au moins aussi profondes que celles de M. Hollande. Et pourtant, contrairement à ce dernier jamais ils ne s’aventurèrent sur le terrain mouvant de la chance. Jamais ils n’entretinrent la moindre confusion entre fraternité et nivellement par le bas. Jamais ils ne tentèrent de compenser une incapacité à réduire le nombre de pauvres par une fierté populiste à réduire le nombre de riches.

La droite, fort logiquement, fut encore moins équivoque sur le sujet. Un bouclier par ci. Un pommier par là. De M. Barre à M. Sarkozy en passant par M. Chirac. Du sérieux, du solide, du vrai. Travailler plus pour gagner plus. Bref, si tu travailles beaucoup et que tu manges des pommes, la France sera plus forte. Cette double volonté de privilégier le travail et de protéger les entrepreneurs n’empêcha pourtant pas cette même droite, en 1970 sous de l’égide de M. Chaban-Delmas, d’instaurer la première version du SMIC. Ce dispositif, même s’il n’est pas parfait, doit quand même bien quelque part contribuer à combattre la pauvreté. Et par ricochet les inégalités. En effet, au sein des pays de l’OCDE la France s’affiche, années après années, dans le peloton de tête en terme de salaire minimum le plus élevé, que ce soit en pourcentage du salaire médian, en pourcentage du salaire moyen ou en pouvoir d’achat.

Trop de personnes trop riches, que faire?

François Hollande, M. Jourdain de la Révolution, et ses disciples ont ouvert la boite de Pandore. Il ne s’agit plus de lutter contre la pauvreté mais également de rendre moins riches les trop riches. La pensée socialiste actuelle repousse avec finalement plus d’énergie les concepts du maoïsme que les fondamentaux du capitalisme financier. Vendre du poisson est acceptable. Pour peu que vous soyez un honnête contribuable et que vos salariés ne travaillent pas plus de 35 heures. Apprendre à pêcher est désormais infiniment moins valorisé que donner un poisson. Apprendre à pêcher expose crument à cette réalité qui fera que tout le monde n’aura pas la même quantité, ni la même qualité, de poisson dans son assiette à la fin du jour. N’en déplaise, la pêche exige technique, travail et talent. Résumer le fruit de la pêche à la seule manifestation de la chance, ou de la malchance, n’est rien moins que la négation et le refus de reconnaitre le génie humain.

Utopie ou escroquerie?

Cette volonté d’édifier une société idéale et sans défaut, juste et libre, ne doit pas être une utopie mais un combat de tous les instants. La Déclaration des droits de l’homme qui fonde notre République nous rappelle en son article premier que “Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité”. Nul part il est érigé en vérité que cette égalité doit être absolue et en toutes matières. Les auteurs, comme les inspirateurs, de ce texte fondateur, savaient reconnaitre, pour ne pas dire magnifier, les vertus du travail et du talent humain. Dénaturer la fraternité pour prôner l’égalité absolue peut vite devenir une escroquerie intellectuelle, et économique, si nous n’y prêtons pas attention.

Une autre vision étatique de la chance

Aux Etats-Unis, le talent et le travail sont valorisés. Mieux, ils s’avèrent mêmes moins taxés que la chance. Outre-Atlantique, les gains issus des jeux de loterie sont assujettis à l’impôt. Ce n’est pas le cas en France. En effet, là-bas le gagnant sera soumis à un impôt fédéral ainsi qu’à un impôt sur le revenu au niveau étatique fixé en fonction du montant remporté, de ses éventuels autres revenus et de son lieu de résidence. Quelle que soit sa situation, l’heureux élu laissera globalement environ 50% de ses gains en impôts et taxes de toutes natures.

La philosophie américaine en la matière se révèle donc opposée à celle de nos édiles socialistes. Là-bas ce qui est indécent ce n’est pas de gagner de l’argent par son travail ou son talent. Non. C’est de s’en remettre à la chance pour s’en sortir.

En extrapolant un peu

Autour de moi une même question tourne en boucle. Pour qui vais-je bien pouvoir voter en 2017 ? Je suis consterné de noter que cette interrogation, hautement respectable en démocratie, se limite à mettre en balance des hommes et des femmes. Pas des idées. Pas des visions. Pas des concepts qui nourriront des programmes. Alors merci M. Hollande, par votre franchise, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de naïveté voire d’incompétence, d’avoir lancé ce désormais inévitable débat sur la place de la chance dans la vision économique et sociétale qui doit conduire la France vers plus de justice et d’égalité.

Autour de moi, suis-je le seul à avoir remarquer que plus on travaille plus on améliore ses performances et ses revenus, mais aussi et surtout sa satisfaction et son estime de soi? Ce qui est donné, sans effort et sans contrepartie, ou au nom d’une malchance réelle ou supposée, n’a jamais eu et n’aura jamais ces vertus. L’ascenseur social est en panne. Soit. Réparons-le. Qu’aura fait celui qui le réparera à part travailler et appliquer une technique grâce à son génie. A moins que la chance…

Par Dominique Bamas, le 25 août 2016

source : huffingtonpost.fr