Pour une rémunération des dirigeants fondée sur le long-termisme

L’AFEP et le Medef ont lancé une révision du code de gouvernance appuyée par une consultation publique dans l’objectif notamment de faire en sorte « que les conditions de rémunération variable s’alignent avec les intérêts de long terme de l’entreprise .»

Chronique TRIBUNE. Virgile Chassagnon et Benjamin Chapas, tous deux économistes et enseignants-chercheurs, s’invitent au débat sur la rémunération des dirigeants. Ils encouragent à penser la question de façon à trouver une posture permettant de réconcilier le travail et le capital.

 

« Nous avons fait le choix dans un premier temps de mettre les entreprises face à leurs responsabilités, en l’occurrence le patronat. Force est de constater que cela n’a pas été respecté, donc maintenant il faut légiférer ». Pour ceux qui s’intéressent à la problématique de la rémunération des dirigeants de grandes sociétés cotées, cette déclaration du Premier ministre français, qui fait suite aux révélations sur la validation, par le conseil d’administration de Renault, des 7,251 millions d’euros perçus par le patron de l’entreprise automobile en 2015, sonne comme une pure rhétorique politique.

Ce n’est pas la première fois, en effet, que la classe politique monte ainsi au créneau et, sous couvert d’indignation morale, agite la menace d’une intervention du législateur pour rassurer une opinion publique souvent médusée devant les montants de rémunération en jeu. Depuis presque trente ans maintenant, et les premières révélations sur le salaire de Jacques Calvet par le Canard Enchaîné en 1989 (180 000 francs mensuels !), l’on peut dire que cela a même été une constante : suffit-il qu’un scandale éclate à ce sujet pour que l’on agite le drapeau de la Hard Law que la classe patronale a tôt fait de fustiger comme la marque d’une intrusion inacceptable de l’ordre public dans la sphère privée de l’entreprise.

Pour s’en convaincre, rappelons d’ailleurs que le bonus de 13,7 millions d’euros promis à l’ancien patron d’Alcatel-Lucent, Michel Combes, aujourd’hui patron de SFR, avait déjà offusqué ce même gouvernement en septembre 2015 et conduit le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement à avancer l’hypothèse d’« interventions plus fortes » si le patronat ne se montrait pas capable de « faire son autodiscipline ».

Tout cela pour des résultats que l’on sait être bien maigres et cette conséquence logique que de moins en moins de personnes croient à des discours de principe qui sont, en vérité, le symbole d’un jeu politique qui semble nuire à l’émergence d’une réelle démocratie économique dans nos sociétés en crise de sens. Partant, il vaut mieux dans l’immédiat ne pas compter sur une loi véritablement contraignante en la matière, d’autant que le patronat a tôt fait, comme en témoigne le bras de fer engagé par le haut comité de gouvernement d’entreprise de l’AFEP-Medef avec Carlos Ghosn (via un courrier au vitriol envoyé à l’intéressé le 19 mai), de se désolidariser de tous les dirigeants emportés dans des scandales pour rappeler que ce sont autant d’exceptions qui ne mériteraient en rien du législateur qu’il s’y arrête.

De ce constat, il faut plutôt retenir la nécessité de penser différemment la question de la rémunération des dirigeants afin de trouver une posture de compromis social-productif et de contribuer, ce faisant, à une forme de réconciliation entre le « travail et le capital » dans nos sociétés modernes.

Comment expliquer, en effet, aux nouveaux chômeurs que les salaires des dirigeants ont en moyenne augmenté de 6 % au cours de l’année 2014 (l’inflation du pays étant 12 fois inférieure en 2014) ? Une telle donnée ne saurait être comprise et légitimée par des salariés qui sont de plus en plus exposés aux risques et de moins en moins sécurisés dans leurs parcours professionnels. Dans son dernier ouvrage, Jean Tirole propose une analyse qui, sous quelques aspects, semble se rapprocher de cette idée : il faut en finir avec les rémunérations qui ne sont pas légitimes et qui demeurent socialement injustifiables. Et cela afin d’éviter, par exemple, d’avoir à expliquer aux plus fragiles pourquoi la rémunération des dirigeants s’élève souvent lorsque les résultats de l’entreprise sont bons mais ne baisse pas lorsqu’ils deviennent mauvais et compromettent la pérennité de leur emploi… Ces questions ont une forte portée symbolique, un caractère sacré qui doit être apprécié à sa juste valeur pour enclencher une dynamique démocratique et trouver les moyens d’un nouveau compromis social-productif durable. Et surtout elles doivent s’inscrire dans cette volonté largement partagée par nos concitoyens de rompre avec une logique court-termiste qui ne sert pas les intérêts de la société.

L’AFEP et le Medef lancent d’ailleurs une révision du code de gouvernance appuyée par une consultation publique dans l’objectif notamment de faire en sorte « que les conditions de rémunération variable s’alignent avec les intérêts de long terme de l’entreprise ». Les intérêts de long terme, ce sont fatalement ceux du développement durable de l’entreprise et de la société. Bien entendu cette mesure qui ne concerne que la partie « variable » de la rémunération est insuffisante pour restaurer une vraie démocratie salariale mais elle pourrait constituer une avancée sociétale intéressante si elle s’avérait effective et bénéfique pour le développement social et écologique de nos économies.

Virgile Chassagnon est professeur des universités, économiste (UGA, CREG) et directeur de la chaire « Entreprise, Homme et Société »

Benjamin Chapas est maître de conférences, économiste (ESDES-UCLy)

Le 31/05/2016 à 12:34