lesechos.fr : Management : cinq attitudes pour favoriser motivation et engagement

Comment, dans un contexte d’incertitude et de changement permanent, manager les situations difficiles, redonner confiance, assurer l’engagement et la coopération, affirmer votre leadership ? La réponse passe par les émotions, selon Pierre-Marie Burgat, psychologue, consultant-coach, responsable du pôle formation et coaching de Capital Santé. Son ouvrage, « Manager avec l’intelligence émotionnelle » , paru en juillet 2016, donne des clés de l’intelligence émotionnelle en management, et des outils pratiques pour agir dans des situations humaines complexes. Extrait.
J’assiste souvent, dans ma posture d’écoutant de la santé au travail, à des maladresses de managers, voire à de graves erreurs plus politiques, y compris provenant de «spécialistes».

La pratique de la reconnaissance, si elle est simple à comprendre, est beaucoup plus délicate qu’il n’y paraît à faire fonctionner.
Souvent sans le vouloir, une direction peut générer aussi de la reconnaissance négative, aux effets dévastateurs. C’est le cas fréquent de la non-invitation de tel ou tel à une manifestation publique ou à une réunion importante, perçue comme un signe de reconnaissance.

Pas tous à la fête

Un grand fabriquant de voiture, pour la sortie de sa nouvelle gamme, limita l’accès au show à 400 managers, sur des critères visiblement mal compris. Alors que j’animais une formation au leadership, je reçus quelques jours après, des managers ayant, ou non, participé à la fête de lancement.
Il était aisé, par la différence d’entrain des managers, de distinguer ceux qui avaient été invités ou non selon qu’ils se sentaient en confiance ou à l’opposé proches de la dépression. Et ce n’était qu’une erreur de marketing interne !

On peut donc se demander pourquoi nous sommes aussi maladroits. Pourquoi l’apprentissage est-il
si difficile, alors que les bénéfices sont si considérables et les erreurs parfois si dramatiques ? Si, en période de disette, nous partageons moins notre « casse-croûte»,il y a ainsi bien d’autres freins à appréhender et d’erreurs à éviter pour utiliser à bon escient ce carburant essentiel de la performance qu’est la reconnaissance.
J’ai pu constater ainsi dans ma pratique cinq grandes causes d’échec (ou de freins) à prévenir :
– la compréhension insuffisante du fonctionnement psychologique de la reconnaissance,
– les freins personnels (personnalité, éducation, culture),
– la frustration en reconnaissance,
– la passivité ou les peurs,
– et enfin, la « carence du système ».

Examinons comment les éviter :

#1 Mieux comprendre le fonctionnement psychologique de la reconnaissance
Beaucoup de managers que je côtoie ne connaissent pas suffisamment son fonctionnement, ou ne font pas l’effort d’appliquer ses principes. Quand le sujet de la reconnaissance est évoqué lors d’un stage de management, il y a toujours un manager pour balayer d’un revers de main l’importance de la reconnaissance immatérielle. Seule compterait la reconnaissance par l’argent. L’argent nourrit en fait bien d’autres besoins dont celui de sécurité, voire plus simplement, alimentaires.

De nombreuses études montrent que notre cerveau ne fait pas la différence entre la reconnaissance matérielle ou immatérielle.
Par exemple, une augmentation ou une prime a un effet bénéfique sur un temps aussi court que l’effet d’un signe immatériel (ne dites pas cela à votre patron ou à votre DRH !).
Par ailleurs, le fonctionnement récurrent de ce besoin n’est pas compris par la plupart des managers que je côtoie : « je lui ai dit l’année dernière qu’il travaillait bien, il le sait bien… Je ne vais pas lui redire tous les jours… ». « C’est son travail, je n’ai pas à lui dire en plus qu’il le fait bien, c’est normal ! ». Je leur demande alors, combien de fois par jour avons-nous l’habitude de manger, et au bout de combien de temps de jeûne, nous sentons-nous plus faibles.

Il est important de comprendre que nos besoins psychologiques fonctionnent à l’identique de nos besoins primaires, comme par exemple de nourriture, dans une dialectique incessante entre le manque et la satisfaction.
Si nous ne recevons jamais assez de « nourriture », nous vivons donc dans la frustration. C’est la même chose avec la reconnaissance. Même si certains arrivent à moins se nourrir, avec une « constitution différente », il nous faut veiller à une « alimentation » régulière.

 

#2 Dépasser les freins personnels : éducatifs, culturels ou liés à la personnalité
Les personnes rationnelles (comme moi !) auront souvent plus de mal à émettre et recevoir la « reconnaissance inconditionnelle » (vis-à-vis de la personne), alors qu’elles se nourrissent plus facilement de reconnaissance dite « objective ».
Les « corticaux » (rationnels) apprécient davantage la reconnaissance portée sur leurs résultats (« j’aime qu’on me dise que je fais du bon travail ») que sur eux-mêmes. C’est l’inverse pour les « limbiques dominants », les « affectifs », plus ouverts eux à l’émotion et à la « reconnaissance inconditionnelle » (« j’aime qu’on me dise qu’on m’apprécie »).
Sans conscience de ce schéma mental, les « corticaux » que je suis frustrent automatiquement tous les « affectifs » du type de reconnaissance qu’ils attendent, en tant que « personne ». Inversement, les rationnels attendent une reconnaissance sur ce qu’ils font et sont plus mal à l’aise avec les signes inconditionnels, qu’ils rejettent le plus souvent ou estiment inutiles.
Ces freins peuvent aussi avoir été renforcés par des «drivers» familiaux. « Mon père ne me félicitait jamais, sauf quand je faisais des conneries », me dit un jour un manager.

Ces freins personnels peuvent aussi venir de la culture.
Nous connaissons tous la plus grande liberté des Américains du Nord, très généreux en signes de reconnaissance (« oh, it’s so great » !), ce qui peut nous agacer. Ce début de colère défend inconsciemment notre culture française, infléchie pendant des siècles par le catholicisme, son culte de la frustration, de la souffrance, de l’humilité, du sacrifice, et donc particulièrement limitante sur ce besoin. Et parfois il nous reste, quoique laïques, quelques traces et croyances solides de ces « interdits » !

 

#3 Apprendre à partager dans le manque, c’est encore mieux !
Notre propre frustration nous pousse automatiquement à garder pour nous le peu de reconnaissance reçue. Dans les organisations sous tension, les personnes sous pression sont en manque chronique de reconnaissance. « Pas le temps » !
Comment pourrai-je donner ce que je n’ai pas ! Quand vous n’avez rien à manger, le partagez-vous spontanément ? N’est-ce pas pourtant un signe de sagesse et d’ouverture, quand nous savons partager notre petit morceau de pain ou notre unique manteau par grand froid ?

 

#4 Dépasser notre passivité et nos peurs, c’est oser
Parfois, je sais que j’ai commis une erreur dans la gestion de ma reconnaissance, soit par omission, en ne remerciant pas ou en ne félicitant pas une personne de mon entourage, ou encore, en renvoyant maladroitement un signe négatif qui risque de blesser ou de décourager… Mais sortir de la passivité (« je laisse faire, ce n’est pas grave… »), revenir après coup sur une erreur, s’excuser… peut aussi demander un certain courage et dépasser nos peurs.
De même, moi qui ne suis pas très à l’aise par ma personnalité avec la reconnaissance, mieux la transmettre me place en « zone d’effort ». Rien faire, ne rien dire, c’est donc souvent plus facile…

Reconnaître c’est donc aussi oser le faire !
#5 Alimenter « le système » et relancer le cercle vertueux
La reconnaissance dépend de l’autre et de la qualité des relations. C’est un besoin que certains qualifient de « systémique ». Si un système est pauvre en circulation de reconnaissance, il devient difficile à chacun de s’alimenter et donc, dans la disette, de partager sa « nourriture ». C’est le cercle vicieux ou vertueux de la reconnaissance. Mais une personne avec un bon niveau de conscience peut décider, malgré sa propre frustration, de donner aux autres de la reconnaissance et donc de redynamiser le système.

Le dépassement de la frustration est une porte d’entrée dans la sagesse et le dépassement de soi.
Toute personne, même si elle n’est pas le manager du groupe, peut donc, par son action, alimenter un collectif en reconnaissance. Cela peut contribuer à permettre au système de remonter en énergie. C’est la responsabilité de chacun d’alimenter cette énergie collective.
Le cercle vertueux de la reconnaissance et bien décrit par le modèle de l’Analyse Transactionnelle. Pour « Recevoir », il faut savoir « Donner », parfois en « Demander », « Refuser » tout signe manipulatoire pour éviter les jeux psychologiques, et avant tout, « Se Donner » de la reconnaissance, reconnaître ses propres qualités et réussites.

L’énergie de la reconnaissance pour prévenir le burn-out

Dans les audits sur les risques psychosociaux auxquels je contribue, le manque de reconnaissance apparaît souvent comme un facteur psychologique majeur de souffrance au travail. C’est aussi un des déséquilibres à l’origine du burn-out. Le sociologue Johannes Siegrist (1) montre ainsi dans ses travaux que le stress survient lorsqu’il y a un déséquilibre de « récompense » (plus largement de reconnaissance) face au niveau d’effort exigé. Autrement dit, si je me sens suffisamment reconnu (ou « récompensé » de mon effort), je peux m’investir davantage, sans pour autant stresser. Mon effort est alimenté par la reconnaissance.
Bien nourri en reconnaissance, tout au plus, je peux me fatiguer sans pour autant entrer dans le cercle négatif de « l’hyper stress » ou stress dit chronique qui peut conduire au fameux « burn-out ». Bref, avec beaucoup de reconnaissance, nous savons que nous pouvons, sans encombre ou presque, « soulever des montagnes » !

Pierre-Marie Burgat, le 13 juillet 2016