Finyear.com | Construire la vérité ?

L’ADAE (3) organisait un passeport sur la gestion de crise en matière pénale le 9 février 2016 et c’est Maître Xavier Filet qui nous présentait un éclairage sur ces moments compliqués de la vie des entreprises et de leurs dirigeants. Un dirigeant (financier ou non) peut-être gardé à vue, mis en examen ou interrogé sous le statut de témoin assisté ou en audition libre. Voici quelques points saillants dont je souhaite me faire brièvement l’écho.

Il convient de ne pas tomber dans le piège de la théâtralité qui est organisée à dessein pour déstabiliser le justiciable. Me Filet indiquait qu’en situation, bien des dirigeants, pourtant préparés soigneusement à subir le stress de la confrontation, perdent leurs moyens et le bénéfice de cette préparation.Il faut user à bon escient du silence et de la communication. Cette dernière est nécessaire pour rendre à l’entreprise ainsi qu’à ses employés + actionnaires + clients + fournisseurs + etc la sérénité que peut leur faire perde ce genre de crise. Et le silence aussi, parce que c’est un des droits les plus essentiels de la procédure, même si cela énerve les enquêteurs. Il convient de ne répondre que très brièvement aux seules questions posées, et les réponses « je ne sais pas » ou « j’ai oublié » sont tout à fait acceptables. En effet, contrairement aux innombrables réunions où tout savoir sur tout est un must, l’ignorance (feinte ou réelle) peut être la bienvenue.

Passons au plat de résistance en forme de choc pour le catho fan de l’évangile de Saint Jean que je suis : « La vérité n’existe pas, elle se construit » indiquait Maître Filet dans son propos. Boum ! J’ai résisté à l’envie de dégainer publiquement et plus vite que mon ombre l’ homélie de la missa pro eligendo Romano Pontifice du 18 avril 2005 (4) et sa condamnation sans appel du relativisme, mais nous n’étions pas ici le domaine du sacré, parler de la vérité de César suffira. Le dialogue entre Pilate et Jésus se termine d’ailleurs par l’interrogation de ce dernier « qu’est-ce que la vérité ? (5)» qui ouvre la porte à toutes les discussions, byzantines ou non.

Tout d’abord notons l’oxymore du propos incriminé : si une chose peut se construire, elle finit par nécessairement par exister. Il suffit de s’interroger sur le nombre de gens qui soutiennent mordicus que Jérôme Kerviel est innocent, qu’il est une victime de la grande méchante banque (vous en avez nécessairement de cette opinion dans votre entourage). Ces personnes ont une « vérité » qu’elles proclament avec conviction, quand bien même certains dont je suis ne perçoivent pas cette affirmation comme une vérité. Au vu de l’antagonisme des vérités médiatiques et judiciaires, et du caractère bancal de certaines affirmations, il est possible d’imaginer que certaines claques bien méritées se soient perdues en chemin.

La fiabilité des témoignages est naturellement sujette à caution : lire 5 procès-verbaux de témoins d’un seul accident peut conduire le lecteur à penser que 5 accidents différents ont eu lieu. La maïeutique de la vérité factuelle et circonstanciée est donc une longue route parsemée d’embûches qui parfois débouche sur des surprises, tous les enquêteurs vous le diront.

L’avocat et le justiciable doivent faire dérailler le train, indépendamment de la culpabilité ou de l’innocence. Il peuvent le faire pour des conditions de forme : Je lisais récemment que le code pénal devait punir les coupables et le code de procédure pénale était destiné à protéger les innocents. Il est évident que parfois, des justiciables auteurs de faits délictueux peuvent s’exonérer de leur responsabilité grâce à un vice de procédure. Ils peuvent aussi faire dérailler le train pour des raisons de fond, parce que des approximations, des incohérences, des contradictions existent, même quand tout les témoignages sont sincères et de bonne foi, et que ces contradictions rendent la vérité imperceptible au juge. En ce sens, oui, la « vérité » judiciaire qui conduit à un non-lieu, un acquittement ou une condamnation est le fruit d’un arbitrage entre les tentatives de constructions antagonistes de l’accusation, des parties civiles et de la défense. Tous les protagonistes prétendront détenir cette vérité, rivaliseront pour l’imposer, et tous (ou presque ?) mentiront peu ou prou.

Bien évidement je vous souhaite de ne jamais avoir à mettre en pratique les méthodes et user du savoir-faire permettant de minimiser ce risque pénal encouru par l’entreprise ou ses dirigeants. Mais si vous êtes formés par l’ADAE, sympathique et conviviale Association des Dirigeants et Administrateurs d’Entreprise, dont je m’honore d’être un membre et que je remercie de son invitation, vous réduisez votre exposition à ce risque en plaisante compagnie (Fin de la phrase de publicité clandestine).

Rémy Mahoudeaux 
Managing Director, RemSyx

twitter : @remseeks
(1) Disclaimer en anglo-américain
(2) Cf. l’exception de Mahoudeaux « Le seul gâchis autorisé, c’est le gâchis de paranoïa ! » cf www.finyear.com/Affaires-et-Psychiatrie-sans-se-prendre-au-serieux-5-5-Paranoia-appliquee-les-methodes-et-le-curseur_a17900.html
(3) L’ADAE (Association des Dirigeants et Administrateurs d’Entreprise) que préside Daniel Corfmat a pour objectif de promouvoir la gouvernance au sein des PME depuis 1996 avec 4 axes d’actions principaux : (i) Informer les parties prenantes ; (ii) Former ses membres (1ère formation d’administrateur qualifiés indépendants en entreprise en France AQI®); (iii) Réfléchir sur la doctrine et établir/proposer des « softlaws » ; (iv) Diffuser ses travaux. Si vous souhaitez plus d’information : www.adae.asso.fr
(4) www.vatican.va/gpII/documents/homily-pro-eligendo-pontifice_20050418_fr.html
(5) Jean 18, 38